Elsa Roussel

Aussi étranges que familières, les toiles de Fabien Perani mettent en relation un proche et un lointain au sein d’une unité picturale visant à traduire une attitude qui répond au fait de ne jamais pouvoir être à la fois en son lieu et à sa place. Le geste de l’artiste, se revendiquant comme “pauvre et synthétique”, confronte avec ironie des éléments naturels et artificiels aussi opposés que complémentaires : stalactites avec fleurs, panneaux routiers dans un paysage, flammes contre bulles, lotissements entre deux montagnes, mares en pleine route, vision micro / macro… La réunion de ces composants écrase la perspective de façon à ne créer qu’une seule scène improbable, déployant l’espace hors de son possible, créant ainsi une esthétique du “non lieu”. L’unité spatiale ne cherche pas à créer de nouvelles normes, de nouvelles délimitations, de nouveaux codes. Fabien Perani tente plutôt de configurer un espace issu d’un croisement, fragile et soumis au changement, par opposition aux savoirs et techniques industrielles dont il se sert et qui, elles, semblent permanentes et solides. Par l’accumulation de ces environnements contradictoires, l’artiste détourne les fantasmes collectifs d’une domestication de la nature par un retour en force de cette dernière. Il opère ainsi hors de toute raison à un détachement de notre notion commune de territoire.

Il est permis de voir dans son travail la dualité nature / culture comme celle du conscient et de l’inconscient, dès le début de l’acte pictural: “Je maquille avec une sorte de figuration assez branlante, assez pauvre de façon à montrer la richesse de ce qui m’échappe et la pauvreté de ce que je produis”. Ainsi certaines figures, pylônes, chemins et territoires parcellés, routes, panneaux de signalisation, comme des renvois à l’ère post-industrielle, se joignent à l’acte conscient, attaché à une volonté de maîtrise du monde et du geste. De l’autre côté, les formes jaillissantes, exagérations quasi fantasmatiques de détails réalistes, appartiennent au caractère arbitraire et libérateur d’un inconscient désobéissant à la vision simplificatrice et déterminée qui fragmente et codifie le monde.

Si l’artiste bouleverse nos représentations spatiales, il s’amuse également à nous perdre temporellement par l’emprunt pictural. Les montagnes de ses paysages d’inspiration japonaise font tout à la fois écho à l’expressionnisme abstrait. Cette distribution inattendue d‘éléments et de styles peut se lire comme un découpage du temps qui dépose ici et là les traces mouvantes d’une histoire difficilement délogeable. En effet comment peut-on revisiter les paysages en peinture quand l’histoire de l’art s’en est déjà chargée ? Est-il possible de se décharger de ses influences et se faire un tantinet novateur ? La position de Fabien Perani sur ces questions est claire: “C’est compliqué de trouver une forme de liberté du geste dont on sait qu’elle est faussée par notre connaissance de l’histoire de l’art. Je feins la liberté du geste.”

Feindre, simuler, ruser, jouer au naïf, voire à l’imbécile, pour mieux rendre compte de notre condition d’êtres éparpillés dans le temps et l’espace.